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Légendes

 

Outikou

Les Iroquois avaient fui devant les cohortes de la France puis avaient demandé la paix, le baptême. Profitant de ces jours heureux de victoire et de paix, les missionnaires se multipliaient pour aller évangéliser. Deux de ces ouvriers de Dieu étaient partis de Québec pour Tadoussac; l’un était destiné aux missions montagnaises de la côte nord; l’autre devait, traversant le fleuve, aller reconstituer les missions de la Gaspésie. Sans suivre jusqu’au bout ce dernier dans son voyage, accompagnons-le jusqu’à cet endroit célèbre qui s’appele encore aujourd’hui Les Ilets Méchins. Ce mot de Méchin n’est que la corruption populaire du mot sauvage Matsi ou du nom français Méchant qui sont du reste, la traduction l’un de l’autre. Le missionnaire, accompagné d’un autre voyageur, s’était fait conduire à Kakouna, sur la rive sud, par les Montagnais de Tadoussak. Là, il prit un canot maléchite qui devait le mener à Gaspé. Des deux maléchites qui guidaient l’embarcation, l’un était chrétien, et l’autre infidèle; ce dernier remettant toujours le moment de sa conversion. On était en route depuis cinq jours d’un temps magnifique lorsque au soir le ciel se chargea de nuages. Les voyageurs atteignaient à ce moment les Ilests Méchins qui sont deux petits rochers situés à faible distance du rivage dont ils sont séparés par un étroit chenal, assez profond pour servir de havre aux petites embarcations. La plage en face forme une anse sablonneuse qui s’élève graduellement jusqu’au sommet d’une montagne. Nos voyageurs s’arrêtèrent en cet endroit. Malgré l’aspect invitant du local, le sauvage infidèle ne s’était arrêté là qu’à son corps défendant.
-Qu’a-t-il, demanda le missionnaire au sauvage chrétien?
-Il a peur d’Outikou!
Pauvre malheureux, se dit le missionnaire, il craint ce Géant fantastique et n’a point peur du véritable Géant de l’abîme. -Mais pourquoi a-t-il plus peur ici d’Outikou que partout ailleurs?
-Outikou reste là, dans la montagne.

Ils renversèrent le canot sur ses pinces, firent un bon feu et causèrent en prenant le repas du soir. Le vent commençant à faire rage éteignit le feu les laissant dans l’obscurité totale, ce qui vint augmenter les terreurs du sauvage infidèle. On fit la prière et chacun s’étendit sur le sable à l’abri du canot. On dormait sur le rivage, le vent et la pluie ayant cessé, quand, tout à coup, un cri de terreur vint tirer les voyageurs de leur sommeil. C’était le sauvage rebelle à sa conscience qui, se jetant aux pieds du missionnaire, criait de toutes ses forces.
-Le baptême, Patlialche, le baptême!
-Mais qu’as-tu donc, demanda le Père avec inquiétude?
-J’ai entendu le cri d’Outikou, et ce cri fait mourir!... Je l’ai vu descendre de la montagne; grand, grand comme le chiche-kebab... J’ai vu le bâton qui lui sert de soutien, c’est un grand pin sec arraché de sa propre main...
-Calme-toi, dit le Père rassuré; car le malheureux infidèle étouffait.
-Il avait senti le sauvage non baptisé... il est venu rôder autour du campement... il se penchait vers moi pour me saisir; mais j’avais placé ton crucifix sur ma poitrine... En voyant cette image, il a poussé un nouveau cri qui semble encore m’ouvrir la tête; puis, il s’est enfui dans la montagne en laissant tomber son bâton à quelques pas d’ici! Il écrasait sous ses pieds les sapins et faisait rouler les rochers sous ses pas en se sauvant. Mais j’en mourrai, ajoutait le sauvage en s’attachant avec frénésie à la soutane du missionnaire, et je ne veux pas mourir sans baptême!
-Ne crains rien, dit le Père, tu ne mourras pas sans être baptisé. Dieu ne le permettra point; mais en ce moment, tu n’es pas disposé à recevoir ce sacrement. Prions en attendant et repens-toi... Quand le jour parut, le sauvage un peu calmé, entraîna le missionnaire à l’entrée du bois, où, montrant un pin sec sur le sol, il lui dit:
-Vois-tu le bâton d’Outikou?
-De ce bâton, dit le Père, nous allons avant de quitter Les Méchins construire une croix que nous élèverons dans ce lieu en signe de la rédemption du monde, afin qu’Outikou ne revienne plus! Le bâton transformé en croix s’éleva à la pointe de l’Anse de Méchins. De ce moment, on n’a jamais revu le Géant aux Ilets.

 

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